L’empathie: devenir soi à deux

Extrait choisi de « Fragments d’une psychanalyse empathique » de Serge Tisseron – Editions Albin Michel – Janvier 2013

L’EMPATHIE COMMUNE OU DIRECTE

C’est la socle de la pyramide. Elle correspond à ce que l’on appelle couramment l’identification et se définit comme la capacité de changer de point de vue sans s’y perdre. Ses bases sont neurophysiologiques et elle est toujours assurée, sauf en cas de trouble mental autistique. Elle a deux composantes. La première consiste à comprendre l’émotion de l’autre: c’est l’empathie émotionnelle qui s’installe dès la première année de vie, aussitôt que le bébé sait faire la différence entre lui et l’autre. La seconde composante apparaît plus tard, à la fin de la quatrième année, et consiste à comprendre comment l’autre voit le monde, autrement dit « son point de vue »; c’est l’empathie cognitive (…).
Ce premier étage de l’empathie est donc déjà un phénomène beaucoup plus complexe qu’on ne le reconnait habituellement. Il implique, en effet, trois dimensions:
– un partage d’émotions associées à des mimiques qui permet à deux personnes d’éprouvées des affects identiques au même moment;
– une conscience claire, par chacun des deux protagonistes, du fait que ce qu’il éprouve n’est que partiellement ce que l’autre éprouve;
– une compréhension de ce qui cause l’état affectif de l’autre. Cette troisième condition est indispensable: elle permet que puisse émerger une réponse adaptée.

L’EMPATHIE RÉCIPROQUE : LE VISAGE DE L’AUTRE

C’est le second étage de la pyramide. Alors que l’empathie commune est une caractéristique que nous partageons tous parce qu’elle est liée à notre évolution cérébrale, l’empathie réciproque est un choix éthique auquel rien ne nous contraint. (…). En quoi se distingue t-elle de l’empathie directe? Par le fait que non seulement je m’accorde le droit de m’identifier à l’autre, mais qu’en plus, je lui accorde le droit de s’identifier à moi: je lui reconnais le droit de se mettre à ma place, de comprendre ce que je comprends et de ressentir ce que je ressens.
L’empathie réciproque implique donc une reconnaissance mutuelle: nous décidons de considérer nos interlocuteurs comme pourvus de sensibilité au même titre que nous et pas seulement comme de simples choses que nous parviendrions plus ou mois bien à comprendre pour les utiliser. La reconnaissance renvoie en effet à l’expérience du miroir: l’autre humain est un autre moi-même, et les différences qui existent entre lui et moi ne sont que des particularités de la similitude profonde qui nous unit. C’est cette décision qui nous permet de concilier réciprocité et asymétrie dans la relation. (…). Cette reconnaissance mutuelle a trois dimensions complémentaires. D’abord, elle reconnait à autrui la légitimité de s’estimer lui-même comme je m’estime moi-même: c’est la dimension du narcissisme. Ensuite, elle lui concède la possibilité d’aimer et d’être aimé de la même façon que moi: c’est la composante de ce que la psychanalyse a appelé les « relations d’objet », c’est à dire des liens qui nous attachent à ceux de nos semblables qui satisfont nos attentes affectives, alimentaires ou sexuelles. Enfin, elle lui octroie la qualité de sujet de droit: l’autre bénéficie des mêmes garanties institutionnelles que moi. (…).

L’INTERSUBJECTIVITÉ

C’est le troisième étage de la pyramide et la troisième dimension de l’empathie. Elle consiste à reconnaître à l’autre non seulement la possibilité de se mettre à ma place, mais d’utiliser cette compréhension pour m’informer sur des aspects de moi-même que j’ignore. (…). Il ne s’agit plus seulement de s’identifier à l’autre, ni même de lui reconnaître la capacité de s’identifier à moi, mais d’accepter de se découvrir différent de ce que l’on croyait être par le regard que l’autre porte sur nous. C’est évidemment le cas de celui qui consulte un thérapeute. (…). chaque être humain se découvre lui-même et découvre l’autre dans le même mouvement. Cette découverte mutuelle, avec le plaisir qui l’accompagne, est la clé des formes élevées d’empathie (…). C’est évidemment l’établissement d’un lien d’empathie réciproque, c’est à dire de reconnaissance mutuelle, qui est la condition de la mise en place d’une relation de symbolisation partagée. Mais la compréhension de ce qu’est l’empathie nous permet d’en éclairer un autre aspect. Que le patient soit allongé ou bien reçu en face à face, la proximité psychique qui s’établit entre le thérapeute et lui a pour particularité de réveiller les désirs et les inquiétudes qui ont marqué leur première relation au monde. Le désir d’empathie, mais aussi l’angoisse d’être manipulé, s’y trouvent exacerbés, et pas seulement chez le demandeur de soins!
C’est pourquoi, après avoir vanté les qualités d’empathie de l’analyste, il nous faut ajouter qu’il doit être doué tout autant d’une très forte capacité d’auto-observation et de jugement… (…)

L’EMPATHIE POUR REPRENDRE CONFIANCE

(…) elle (l’empathie du thérapeute) permet à un patient de faire des expériences différentes qui l’engagent à modifier ses façons d’envisager le monde et lui-même. Ses préoccupations authentiques et légitimes n’ont pas été prises en compte dans se petite enfance et il en a déduit qu’elles n’étaient pas si légitimes que ça. Il a pris l’habitude d’avoir chaud ou froid sans oser s’en plaindre, de ne jamais être certain qu’on l’écoute, de renoncer à savoir s’il a été bien compris, et finalement de faire ce qu’on lui demande sans chercher à comprendre. En reconnaissant toutes ces préoccupations comme légitimes, le thérapeute rend à son patient le consentement qu’on éprouve normalement à être soi-même, mais qui avait été tari précocement chez lui (…).

L’EMPATHIE POUR MIEUX GÉRER LES TRAUMATISMES

Une attitude empathique du thérapeute ne permet pas seulement de remettre en route un processus de subjectivation entravé par des souffrances précoces. Elle joue aussi ce rôle lorsqu’un traumatisme l’a brutalement bloqué. Toutes blessures psychiques s’accompagne en effet d’une triple rupture: dans l’estime que le sujet se porte à lui-même, dans la certitude d’être assuré de l’estime de ses proches, et dans le sentiment de faire partie d’une communauté qui l’accepte et l’intègre. La première de ces trois ruptures affecte ce que les psychanalystes appellent les investissements narcissiques, la deuxième ce qu’ils appellent les investissements objectaux, et la troisième ce que Bowlby a défini comme les liens d’attachement. Cette triple rupture implique si profondément les diverses couches de la personnalité qu’on ne guérit jamais totalement d’un traumatisme. Mais on le circonscrit, on le réduit, et on apprend à vivre avec ce qu’il en reste, ce qui n’est déjà pas si mal (…). Le thérapeute qui fait preuve d’une attitude empathique permet que se mette en place une situation dans laquelle son patient  commence à se donner des représentations de ses traumatismes passés sans crainte de s’y retrouver seul. Dans le travail de co-construction qui s’ensuit, ce qui relève de l’initiative de l’un et de l’autre est indécidable, tout comme est indécidable, dans le résultat, ce qui résulte de la part prise par chacun. Et tous les deux œuvrent tirer bénéfice du succès de l’entreprise et pâtir de son échec, bien que de façons différentes.

La légende des dieux grecs

Au commencement, les dieux et les hommes vivaient ensemble au paradis. Leur cohabitation devint difficile à cause des hommes qui se montraient constamment insatisfaits et belliqueux, au point que les dieux, tout d’abord irrités par leurs disputes, finirent par ne plus pouvoir les supporter. Ils décidèrent alors de les envoyer sur terre et de leur cacher le secret du bonheur. Puisqu’ils n’avaient pas su apprécier ce bonheur que les dieux leur offraient sans condition, les hommes devraient désormais le chercher. Zeus et les autres dieux se réunirent et cherchèrent ensemble un lieu où cacher le secret du bonheur. L’un deux suggéra tout d’abord de le camoufler au sommet d’une montagne. Zeus s’y opposa, car cette cachette lui semblait trop facile à trouver. Un autre suggéra de le dissimuler au fond de la mer. Zeus réfuta cette deuxième proposition, la trouvant également trop simple. Un troisième proposa de cacher le bonheur dans l’espace. Zeus refusa encore pour la même raison. Puis Zeus eut une idée et la leur dévoila : « Le dernier endroit où les hommes iront chercher le secret du bonheur, c’est au fond d’eux-même. Et bien, c’est ici que nous le cacherons ! »

Émotions et santé

Les neurosciences affirment aujourd’hui qu’il existe un lien réel entre les émotions et la santé. En effet, le système limbique, aire cérébrale impliquée dans les émotions et la mémoire impacte le système nerveux sympathique, lui-même responsable de l’augmentation du rythme cardiaque, de la transpiration, de la digestion…

Nos humeurs auraient donc un impact sur nos fonctions biologiques et par ce biais sur notre santé.

Ainsi, la colère ou la rumination ralentiraient la cicatrisation.

L’anxiété et le stress diminueraient nos défenses immunitaires, augmenteraient les risques cardia-vasculaires et les risques allergiques…

Les larmes, quant à elles, permettraient d’évacuer les hormones du stress.

La joie stimulerait les hormones réparatrices du corps, ferait baisser le cholestérol, renforcerait les artères…

De même, la quiétude protégerait le cerveau et diminuerait la sensibilité à la douleur.

Apprenons donc à écouter, comprendre et apprivoiser nos émotions…

Article paru dans « Principes de santé – Le journal de la médecine naturelle » n°69 juillet Août 2014

L’estime de soi

Article paru dans « Principes de santé – Le journal de la médecine naturelle » n°71 Octobre 2014

« L’estime de soi, système immunitaire de la psyché

L’estime de soi est au cœur de la construction individuelle. Elle permet de s’inscrire dans un projet de vie dont on est acteur et se constitue, ou pas, au gré des expériences vécues par l’individu. De fait, sa carence induite par des échecs psycho-affectifs ou des épisodes traumatiques se place en amont des altérations psychiques.

L’estime de soi, haute ou basse, ne doit pas seulement être considérée comme une caractéristique de l’individu. Elle est un outil, voire une arme permettant de s’adapter efficacement à son environnement. Un instrument intelligent et protecteur, indispensable pour faire face à la vie, s’aimer et s’aider dans un premier temps, aimer et aider les autres dans un second temps.

INADAPTABILITÉ

Il existe un lien fort entre estime de soi et résultats scolaires. On observe qu’elle permet à l’enfant confronté à des difficultés d’adopter des stratégies de résolution de problèmes les plus adaptées: recherche de soutien social auprès des proches, remise en question des comportements inadéquats, confrontation à la réalité… A contrario, une estime de soi faible est souvent associée à des stratégies inverses: repli sur soi, réticence à parler de ses soucis, autocritique excessive… (…)

Dans cette même optique a pu être souligné un lien avec l’optimisme: les sujets optimistes sont capables, face à l’incertitude, d’imaginer qu’ils auront les ressources nécessaires pour faire face, au niveau comportemental (si l’événement est contrôlable) ou émotionnel (si l’événement ne dépend pas de la personne) aux aléas de l’existence. On voit donc combien l’estime de soi va influencer les capacités adaptatives.

Elle a également d’autres fonctions importantes. La première d’entre elles, et la plus facilement observable, concerne la capacité à s’engager dans l’action. La notion de confiance en soi, composante partielle de l’estime de soi, désigne le sentiment subjectif d’être ou non capable de réussir ce que l’on entreprend. La plupart des études soulignent que les sujets à basse estime d’eux-mêmes s’engagent avec beaucoup de réticences dans l’action. Ils renoncent plus vite en cas de difficultés et souffrent plus de procrastination.

MIROIR DÉFORMANT

A côté des manifestations comportementales, il existe également des phénomènes cognitifs d’autoévaluation. En psychiatrie, des études ont démontré le lien entre basse estime de soi et un risque dépressif évolutif au fil des ans. (…) Sans une solide estime de soi, il est compliqué de ressentir le plaisir de vivre, de se sentir le droit de prendre sa place, de faire entendre sa voie… C’est aussi se croire inférieur aux autres et se maltraiter, ou se laisser maltraiter (…).

S’ESTIMER AU BÉNÉFICE D’AUTRUI

« Nous abritons un ange que nous choquons sans cesse. Nous devons être les gardiens de cet ange », écrivait Jean Cocteau. S’estimer, c’est prendre conscience de cela. Mais tout d’abord, il convient de se débarrasser de l’idée fausse qui consiste à assimiler la bonne estime de soi à de l’égoïsme. S’accorder de la valeur ne se pratique pas au détriment des autres, mais au contraire à leur bénéfice. (…). Ensuite il convient d’apprendre à adopter un regard positif, sur soi-même comme sur les autres, ce qui permet de voir le réel différemment, d’apercevoir de nouveaux horizons et d’envisager d’autres options pour son projet de vie, en construisant des relations positives avec soi-même et avec autrui.(…) Enfin, reconnaître qu’il est parfois nécessaire de se faire aider par un psychothérapeute, c’est aussi faire un pas décisif dans l’acceptation de son mal-être et surtout dans la volonté de se faire du bien, celui que l’on mérite (…) ».